Cela commence comme un traité scientifique rappelant l’histoire géologique du globe terrestre, voire l’histoire de cette histoire avec ses tâtonnements, ses erreurs et ses certitudes toujours provisoires. Simple mise en condition : peu à peu, le romanesque prend le pas, touchant à des faits plus récents, à mesure que le récit pénètre dans les « Grottes de Muotatal (Höll Loch) », en Suisse ; pénétration non dénuée de détails et de justifications scientifiques, certes, mais qui nous mène, avec Joseph Siedler, à la « porte de l’Enfer », aux confins du fantastique.
C’est au plus profond de ces cavernes que Joseph découvre, il y a une centaine d’années, une roche bourdonnante, dont les vibrations sont telles qu’elles provoquent une surdité momentanée suivie de sifflements sur « quatre tonalités ». En ayant prélevé un fragment, Joseph le conservera précieusement jusqu’à sa mort. Alors commence le périple de la « pierre qui vibre » (« Brummstein »), selon l’itinéraire qu’elle suit de main en main, de mort en mort, d’héritiers en acquéreurs, dans le temps (le XXeme siècle) et dans l’espace (la Suisse et l’Allemagne).
Petit objet minéral et cependant comme vivant, issu de bouleversements telluriques échelonnés sur des milliards d’années, cette pierre voyageuse illustre les relations que les hommes entretiennent avec leur environnement : existence individuelle et sociale figurant une infime fraction de seconde sur « l’échelle métaphorique représentant l’âge de la terre par une année civile » ; autant dire rien, et pourtant, entre la « porte de l’Enfer » et les immensités de l’univers, la vie humaine est bien là, avec ses utopies politiques, ses velléités artistiques, sa mémoire et ses oublis, ses querelles et ses apaisements… Peter Adolphsen, avec une distance quasiment ironique, selon une esthétique de la densité et de la parcimonie (que la traduction précise et la belle présentation de l’éditeur mettent en valeur), concentre et résume dans ce bref roman les tenants et les aboutissants des destinées humaines.
Brummstein de Peter Adolphsen, Gaïa, 2005 traduit du danois par Inès Jorgensen