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sur le fait relatif du decret et de l'universite

Madame Valérie Pécresse, ministre de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, nous présente un décret, dont le but affiché est l'amélioration du niveau et du dynamisme de la recherche française, l'optimisation du fonctionnement de l'Université, sinon sa « compétitivité » internationale, et dont le processus consiste à faire de l'enseignement (ou, plus précisément, du nombre d'heures d'enseignement) une sanction (augmentation) ou une récompense (allègement) de la qualité relative (et non intrinsèque) des productions personnelles de chercheurs français (articles, communications, conférences, recueils, etc). Je me propose de vous démontrer le plus sérieusement du monde, tout en vous amusant, que la réforme proposée ne peut avoir pour effet que la disparition prématurée de tous les enseignants-chercheurs et l'arrêt corrélatif de toute forme de recherche scientifique en France, en moins d'une génération, laissant les étudiants (toutes disciplines confondues) orphelins, et les entreprises (si gourmandes en chercheurs, semble-t-il) fort dépourvues. Pour cela, et parce qu'il ne faut jamais hésiter, lorsqu'on est un universitaire, ou un politique manifestement, à parler de ce que l'on ne connait pas, je m'appuierai sur une interprétation fantaisiste de la théorie einsteinienne de la relativité. Vous voilà prévenus, mon propos sera délibérément iconoclaste et indiscutablement fallacieux. Albert Einstein, en formulant sa théorie de la relativité générale, a montré que la vitesse de la lumière est une constante absolue qui se chiffre exactement à 299 794 kilomètres par seconde. En conséquence, si la vitesse de la lumière est invariable, la distance qu'elle parcourt en un temps déterminé est toujours identique, qu'un observateur soit immobile ou qu'il soit lui-même en mouvement, et ce à quelque vitesse que ce soit. En conséquence, le temps et la distance doivent nécessairement être variables. Autrement dit, l'espace et le temps ne sont pas des constantes. En pratique, cela signifie que plus un observateur va vite, plus sa perception du temps ralentit et plus il se « contracte » dans le sens de son mouvement. Les aiguilles d'une horloge tournent plus lentement, les grains du sablier rechignent à tomber, etc. Bien entendu, cela n'est véritablement sensible qu'à partir du moment où l'observateur se déplace à un dixième de la vitesse de la lumière, soit à quelques 30.000 kilomètres par seconde. Mais, si l'effet est infime, voire imperceptible, en-deça de cette vitesse, il n'en est pas moins réel dès lors qu'on est en mouvement : le coeur ralentit, les secondes, les minutes et même les heures s'allongent, les mètres et les kilomètres se raccourcissent, les objets se rapprochent. Or, un enseignant-chercheur est quelqu'un qui, par la nature même de son travail, passe la plus grande partie de son temps à ne pas se déplacer : lorsqu'il cherche, il est assis dans une salle de bibliothèque, devant une liasse d'archives, ou dans un laboratoire devant un microscope. Il lit, prend des notes, réfléchit, mais bouge finalement très peu, sinon pour aller, de temps en temps, chercher une nouvelle cote dans des fichiers informatisés (dans le meilleur des cas), ou compiler quelques relevés interférométriques (et découvrir, ainsi, une exoplanète semblable à la Terre), quand il ne doit pas rapporter à un archiviste pointilleux des archives que personne d'autre ne consulte (je ne parlerai pas ici des besoins corporels élémentaires que même un universitaire se doit d'affronter). Et, lorsqu'il enseigne, il n'est guère plus mobile : assis à la chaire, face au micro, il ne se lève que rarement pour inscrire quelque orthographe exacte, ou formule complexe, au tableau [qui, jadis, a été] blanc, ou, pour relancer la minuterie de l'éclairage chiche de son amphi, en général vétuste. Certains universitaires, il est vrai, tournent autour de la chaire, micro HF à la main, mais, tels des poissons rouges dans leur bocal, ils finissent toujours par revenir à leur point de départ, à savoir leurs feuilles de cours, ou leur ordinateur portable, vérifiant la connexion filaire au système de vidéo-projection qui, une fois l'an, s'avère opérationnel. Vous en conviendrez donc, substantiellement, un enseignant-chercheur est un être sédentaire, sinon immobile. Et par conséquent, c'est un être qui vieillit plus vite que la grande majorité de la société civile française, même si, comme on l'a dit, l'effet reste généralement imperceptible. Oui, il faut le marteler haut et clair : l'espérance de vie des universitaires est la plus basse de tous les corps de métier, du strict point de vue physique einsteinienne. Les effets de la relativité sur l'enseignant-chercheur sont tous vérifiables : son coeur bat généralement plus vite que la moyenne de la population active (l'absence de pratique sportive régulière accentuant généralement ce problème) ; les heures de cours sont toujours trop courtes pour qu'il puisse expliquer tout ce qu'il aurait voulu à ses étudiants, qui, d'ailleurs, sont toujours beaucoup plus loin de la chaire qu'il ne le souhaiterait ; enfin, les jours passant trop vite, il est toujours stressé par le retard pris sur un article à rendre dans des délais qui s'avèrent, de fait, impossibles à tenir. Ainsi, si les processus organiques d'un système vivant en mouvement témoignent de la dilatation du temps, les talents d'un enseignant-chercheur, toutes ses compétences, son application, et jusqu'à son traitement, sont affectés d'un phénomène de contraction. Y compris lorsque l'universitaire tente de s'opposer à une réforme qui s'avère aller, à une vitesse démentielle, dans la direction exactement opposée à celle qu'il aurait fallu pour sauver l'Université, et précisément, la remettre en mouvement. Bien entendu, du point de vue du gouvernement qui se rue dans cette entreprise exaltante de la réforme d'institutions qu'il ne comprend pas, au contraire, tout semble aller... beaucoup trop lentement ! Et notamment les négociations : pour le ou la ministre, qui court toujours dans tous les sens, surtout lorsqu'il, ou elle, est aiguillonné par un chef de l'Etat hyperactif, les heures s'allongent, les débats sont interminables, et les arguments des enseignants-chercheurs semblent se précipiter sur lui, ou elle, de toute leur justesse arrogante. Résultat : quand, enfin, les réformateurs acceptent, un brin instant, d'interrompre leur agitation frénétique, de ralentir un peu leur marche exaltée vers la « rupture », par exemple pour nommer un médiateur après des semaines de négociations infructueuses, ils se rendent compte qu'à l'Université près de dix années ont passé. La nouvelle génération d'enseignants-chercheurs ne comprend pas le sens d'un réforme qui préconise, à ses yeux, des solutions archaïques (qu'en raison même de leur vitesse, les gouvernants perçoivent toujours, quant à eux, comme fondamentalement novatrices). Oui, entre universitaires croupissants et ministres vrombissants, le consensus paraît impossible. Bien entendu, le raisonnement que je viens de faire peut-être être inversé : si l'on s'intéresse à l'activité intellectuelle, plutôt qu'au déplacement physique, les rapports entre gouvernants et universitaires apparaissent étonnamment différents : des ministres aux secrétaires d'Etat, en passant par tous les rédacteurs de décrets d'application de telle « Loi sur la Réussite de l'Uniformisation », quel que soit le parti auquel ils appartiennent, ou la politique qu'ils affirment servir, tous sont tenus par une cohérence d'action, par le respect d'un programme (en général intenable, à l'instar des délais des articles universitaires, mais le problème n'est pas là). Ils ne doivent pas en dévier, et d'une certaine manière, s'il leur arrive de tergiverser, ce n'est que de manière très ponctuelle. Ils s'en tiennent à ce qui a été annoncé par le chef de l'Etat (ou du moins, affectent consciencieusement de leur faire). Ils sont donc, du point de vue du mouvement intellectuel... immobiles, à l'arrêt, ou pour le dire de façon moins provocatrice, aux ordres ! Les enseignants-chercheurs, en revanche, en vertu de la schizophrénie propre à leur profession bipolaire, sont en perpétuel mouvement, voire oscillation, entre leurs recherches en cours et leurs enseignements. Refusant toutes les vérités pré-établies, rejetant toute théorie ou tout paradigme dont ils auraient accepté la validité à perpétuelle demeure, les universitaires sont toujours en train de questionner leur rapport aux sources, aux manipulations scientifiques, aux données rassemblées, remettant en cause leurs conclusions, leurs lectures, et, pour tout dire, leur propre cheminement intellectuel. Ils s'auto-critiquent, s'auto-évaluent, commentent des erreurs en permanence, en tirent des enseignements au quotidien, et tentent de nouvelles approches. Ils reculent, avancent, accélèrent, ralentissent, etc. Bref, ils sont toujours... en mouvement ! Leurs recherches, et celles de leurs pairs, qu'ils se donnent à lire régulièrement, ne serait-ce que par signe de bonne confraternité, influencent leur manière d'enseigner. Et même si certains de ses ajustements sont infimes, ils n'en sont pas moins réels. En retour, lorsqu'ils enseignent, l'œuvre de synthèse, de simplification (et non de simplisme, comme c'est généralement le cas de la communication politique et médiatique), de mise en relief des grandes structures d'une pensée ou d'une matière (notamment pour les étudiants de première année, qui sont, de loin, les plus demandeurs de clarté et d'ambition du discours) leur offre une occasion extraordinaire de mesurer la justesse de l'orientation prise par leurs recherches personnelles. Souvent, pour ne pas dire toujours, c'est en enseignant que les chercheurs trouvent. Qu'ils ont, au détour d'une phrase, qui doit être claire parce qu'elle s'adresse à des apprentis, ce déclic qui fait tout le sel de leur profession intellectuelle, et qui en une seconde, les remplit d'énergie comme une journée de vacances au soleil. Il en va de l'enseignement pour les chercheurs, comme de l'entraînement pour les sportifs : s'il est correctement compris et pratiqué, s'il repose sur une envie, un désir, voire une passion, il mène à la performance, à la victoire, et pour tout dire, au dépassement de soi. C'est pourquoi la vitesse des enseignants-chercheurs est souvent extrêmement élevée car, sauf lorsqu'ils renoncent à être pleinement ce qu'ils peuvent être, ils sont toujours en train de réfléchir, d'anticiper, de soupeser, de prévoir telle possibilité, telle expérience, telle théorie. Ils pensent à leurs cours lorsqu'ils rédigent leurs articles, et pensent à leurs articles lorsqu'ils professent. Du coup, leur esprit subit de plein fouet l'impact de la relativité einsteinienne : tout ce qui est externe à leur réflexion semble être de l'agitation frénétique, tandis que leur pensée en mouvement est calme, constructive, suivant un raisonnement affranchi de la tyrannie des minutes et des heures, puisque celles-ci se rallongent, donnant tout l'espace nécessaire à leur réflexion en cours. Vous en avez sans doute fait l'expérience, (ou les frais) : il est inutile de s'adresser à un enseignant-chercheur qui rédige un article ou prépare un cours, il ne vous répondra pas. Et pour cause : de son point de vue, vous n'êtes qu'une ombre agitée, une tempête indistincte, un stroboscope irritant, un transitor crachotant un babil dissonnant et incompréhensible. A bord de son vaisseau intérieur qui le propulse à la vitesse de la pensée vers l'édification d'un nouveau discours, la découverte d'une nouvelle molécule, fussent-ils inutiles (donc fondamentaux) la Terre elle-même n'est plus qu'un pixel insignifiant se perdant dans le bruit de fond cosmologique. Mais, bien sûr, cela a un prix très élevé : quand l'enseignant-chercheur revient au réel, après voyagé à toute vitesse dans le foisonnement des possibilités, il risque fort d'être désorienté. En effet, si de son point de vue il ne s'est écoulé que deux ou trois heures, le monde extérieur semble avoir radicalement changé : l'Université est en danger, elle doit répondre à des exigences impérieuses de rentabilité, elle doit « produire » des actifs, former des professionnels, des spécialistes prêts à l'emploi ; elle doit réduire ses dépenses de façon drastique, elle doit abandonner ses habitudes de fonctionnement. Surtout, elle doit accepter, au nom d'une prétendue équité, une évaluation venue de l'extérieur et tissée d'arbitraire. Alors, l'enseignant-chercheur doit quitter sa table de travail, mettre en veille son ordinateur, suspendre son raisonnement et ses cours et... se justifier ! Expliquer que, pour lui, trois heures de cours, c'est trois jours de travail ; que, pour lui, 30.000 signes d'article, c'est trois mois de travail ; que, pour lui, 300 pages de thèse, c'est trois ans de travail. Et, bien sûr, il n'y a guère que ses pairs, scientifiques « purs » et « mous », qui acceptent de le croire. Les politiques eux, se moquent, raillent son improductivité, son attachement à cette lenteur qui est, à leurs yeux, une scorie, écho de traditions dépassées. Et parce qu'ils sont au pouvoir, les politiques finissent toujours par « avoir raison » sans jamais avoir raisonné. Ils agissent et passent en trombe largement à côté de l'Université, et atrocement contractés. Et les enseignants-chercheurs à la chaire ou à leurs recherches, se demandent d'où peut bien venir ce courant d'air (ou d'ère) qui éparpille leurs notes et leurs pensées, et les oblige à retarder la publication de leurs découvertes. Pour conclure, il faut rappeler une chose essentielle : plus un esprit va vite, moins il perçoit les changements autour de lui, tel un observateur qui se déplaçant à la vitesse de la lumière percevrait comme immobile un objet qui, pourtant, serait en train de tomber inexorablement vers le sol. Par conséquent, la première leçon de la relativité (aussi hasardeuse et délibérément fantaisiste puisse en être l'interprétation qui en a été faite ici) est la lucidité : les politiques considèreront toujours que leurs réformes sont insuffisantes, voire sans effet, alors même qu'elles transforment inexorablement la matière visée, ici la façon dont les universitaires travaillent ; et, en retour, tous les enseignants-chercheurs croiront toujours que la mise en suspens d'une réforme maladroite équivaut à son gel, voire à son retrait, alors, qu'à la vérité, loin de ralentir, elle continue de se précipiter, bien en-deçà du seuil de leur perceptions, vers son plein accomplissement, telle un astéroïde massif s'écrasant sur un monde auquel il va offrir une belle et revigorante période glaciaire. La seconde leçon de la relativité telle que je l'ai librement interprétée, et qui sera aussi la dernière, est, bien entendu, l'humilité : quelle que puisse être votre position, du côté du gouvernement ou contre celui-ci, pour l'Université ou à l'équerre de ses revendications, vous ne devez jamais oublier que cette position est toujours... relative. Selon le point de vue adopté par ceux qui vous observent, vous passerez pour un indécrottable conservateur ou pour un réformateur insensé. Pour tout dire, la vérité ne sera toujours que d'un seul côté : celui de la lumière.

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