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culture science fiction - Page 8

  • qui controlera le futur ?

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    Nous, le peuple de la science-fiction, auteurs, traducteurs, illustrateurs, critiques et chroniqueurs, essayistes, libraires, blogueurs, éditeurs et directeurs de collection, tenons à exprimer par ce texte notre opposition à la loi Création et Internet. C'est un truisme de dire que la science-fiction se préoccupe de l'avenir et que nombre de ses acteurs ont dénoncé les dérives possibles, voire probables, des sociétés industrielles et technologiques, du livres de science fiction mémorables. La science-fiction sait déceler les germes de ces dérives dans le présent, car c'est bien du présent que rayonnent les avenirs possibles, et c'est au présent que se décide chaque jour le monde de demain. La méfiance face aux nouveaux développements technologiques et aux changements sociaux qui en résultent, la peur de l'avenir et le désir de contrôle d'une société obnubilée par un discours sécuritaire… tout cela a déjà été abordé par la science-fiction, et s'il est une chose dont elle a permis de prendre conscience, c'est que les technosciences et leurs développements sont la principale cause de changement dans nos sociétés modernes. De ces changements en cours ou en germe, nul ne peut prévoir les retombées mais on sait aussi qu'élever des barrières ou des murs n'amène qu'à les voir tomber un jour, de manière plus ou moins brutale. Aussi, plutôt qu'interdire, la sagesse, mais aussi le réalisme, devrait inciter à laisser libre cours à la liberté d'innover et de créer. Le futur qu'il nous faut inventer chaque jour ne doit pas être basé sur la peur, mais sur le partage et le respect. La loi Création et Internet, rejetée le 9 avril dernier à l'Assemblée nationale, doit être de nouveau soumise à la fin du mois à la représentation nationale. Cette loi, dont on nous affirme qu'elle défendra les droits des artistes et le droit d'auteur en général, nous apparaît surtout comme un cheval de Troie employé pour tenter d'établir un contrôle d'Internet, constituant par là même une menace pour la liberté d'expression dans notre pays. Les artistes, les créateurs, tous ces acteurs de la culture sans qui ce mot serait vide de sens, se retrouvent instrumentalisés au profit d'une loi qui, rappelons-le, contient des mesures telles que le filtrage du Net, l'installation de mouchards sur les ordinateurs des particuliers, la suspension de l'abonnement à Internet sans intervention d'un juge et sur la base de relevés d'IP (dont le manque de fiabilité a depuis longtemps été démontré) effectués par des sociétés privées et l'extension de mesures prévues à l'origine pour les services de police luttant contre le terrorisme à l'échange non autorisé de fichiers entre particuliers. Profondément attachés au droit d'auteur, qui représente l'unique ou la principale source de revenus pour nombre des travailleurs intellectuels précaires que nous comptons dans nos rangs, nous nous élevons contre ceux qui le brandissent à tout bout de champ pour justifier des mesures de toute façon techniquement inapplicables, certainement dangereuses, dont le potentiel d'atteinte aux libertés n'est que trop évident aux yeux de ceux qui, comme nous, pratiquent quotidiennement dans le cadre de leur travail l'expérience de pensée scientifique, politique et sociale qui est au cœur de la science-fiction. Également conscients de l'intérêt et de la valeur des communautés créatives, nous nous élevons aussi contre les dangers que cette loi fait peser sur le monde de la culture diffusée et partagée sous licence libre, qui constitue une richesse accessible à tous. Internet n'est pas le chaos, mais une œuvre collective, où aucun acteur ne peut exiger une position privilégiée, et c'est une aberration de légiférer sur des pratiques nées de la technologie du XXIe siècle en se basant sur des schémas issus du XIXe siècle, songez-y. Car l'avenir est notre métier. Signataires : Algésiras, scénariste, dessinatrice (BD) Joseph Altairac, essayiste Jean-Pierre Andrevon, auteur, critique, essayiste Andoryss, scénariste (BD) Ayerdhal, auteur Raphaël Bardas, auteur Stéphane Beauverger, auteur Geneviève Beduneau, auteur, blogueuse Ugo Bellagamba, auteur, essayiste Jean-Luc Blary, éditeur Pierre Bordage, auteur, scénariste Michel Borderie, illustrateur Bruno B. Bordier, auteur Charlotte Bousquet, auteur Georges Bormand, auteur, critique Alexis Brun, éditeur David Calvo, auteur Thibaud Canuti, auteur, conservateur des bibliothèques Flora Cappelluti, journaliste Thierry Cardinet, illustrateur Philippe Caza, illustrateur, scénariste Éric Cervos, auteur Jérôme Charlet, critique, traducteur, libraire Lucie Chenu, auteur, anthologiste, directrice de collection Hélène Collon, traductrice Christophe Cottier, auteur Laurent Courau, auteur, réalisateur, webmestre Magali Couzigou, auteur, lectrice Thomas Day, auteur, directeur de collection Lionel Davoust, auteur, traducteur Jeanne A Debats, auteur Philippe Delestaing, bibliothécaire Nicolas Delsaux, critique Irène Delse, auteur Sylvie Denis, auteur, traductrice, anthologiste, essayiste, critique Jean-Pierre Desthuilliers, auteur, webmestre Thierry Di Rollo, auteur Sara Doke, auteur, traductrice, essayiste René-Marc Dolhen, critique Gregory Drake, auteur Lea Honorine Dray, photographe, auteur Christophe Duchet, traducteur Allan Dujiperou, webmestre Jean-Claude Dunyach, auteur, anthologiste Claude Ecken, auteur, critique, essayiste, scénariste (BD) Françoise Ecken, essayiste Philippe Ethuin, essayiste, blogueur Hélène Fairmarch, auteur Fabien Fernandez, illustrateur Frank Ferric, auteur Jean-Pierre Fontana, auteur Gilles Francescano, illustrateur Alexandre Garcia, auteur, traducteur, critique Didier Gazoufer, auteur Thomas Geha, auteur, libraire Laurent Genefort, auteur, essayiste, directeur de collection Vincent Gessler, auteur Pierre Gévart, auteur, rédacteur en chef Laurent Gidon, auteur Olivier Girard, éditeur, rédacteur en chef Karine Gobled, blogueuse Michel Grimaud, auteurs Gudule, auteur Julien Guerry, libraire Denis Guiot, directeur de collection, critique William Guyard, critique Vladimir Harkonnen, baron Esther Hartwell, blogueuse Henscher, auteur, scénariste (BD) Jean-Christophe Hoël, illustrateur Aurélien Knockaert, webmestre Wladimir Kokkinopoulos, auteur Pénélope Labruyère-Snozzi, auteur, éditeur Marie-Noëlle Lacassin, décoratrice scénographe Sylvie Lainé, auteur Patrice Lajoye, anthologiste Nathalie Legendre, auteur Olivier Legendre, libraire Roland Lehoucq, essayiste Jonas Lenn, auteur Jocelyn Leroy, lecteur Marie Renée Lestoquoy, auteur Yves Letort, libraire Eric Lesueur, éditeur, photographe Li-Cam, auteur Jean-Marc Ligny, auteur Christine Luce, critique Marc Madouraud, essayiste Bernard Majour, bibliothécaire Manchu, illustrateur Xavier Mauméjean, auteur Nadine Manzagol, auteur, scénariste, vidéaste Patrick Marcel, traducteur, illustrateur, essayiste Sybille Marchetto, auteur, anthologiste Coralie Méïsse, libraire Nathalie Mège, auteur, traductrice Natacha Ménard, lectrice Laurent Million, auteur Yann Minh, illustrateur, créateur de liens Pascal Mir, auteur Charles Moreau, essayiste Ghislain Morel, auteur, documentaliste Philippe Morin, auteur, critique, bibliothécaire Loïc Nicolas, libraire Richard D. Nolane, auteur, essayiste, scénariste (BD), traducteur, anthologiste Stéphane Nolhart, auteur Michel Pagel, auteur, traducteur Thierry Pagès, adjoint du patrimoine Claire Panier-Alix, auteur Olivier Paquet, auteur Roland Pawlak, bouquiniste spécialisé Pierre Pelot, auteur Serje Peronnet, blogueur Audrey Petit, directrice de collection Olivier Pezigot, bibliothécaire Jean-Pierre Planque, auteur Laurent Queyssi, auteur Hélène Ramdani, éditeur Mireille Rivalland, éditeur André-François Ruaud, auteur, éditeur Simon Sanahujas, auteur, essayiste François Schnebelen, critique Nicolas Serra, auteur Frédéric Serva, auteur Stéphane Servain, dessinateur (BD) Isabelle Seviran, comédienne, lectrice Claire Sistach, chercheuse d'arts Nicolas Soffray, auteur, critique Georges Subrenat, enseignant Bertrand Tesson, documentariste Hervé Thiellement, auteur, critique Christian Vilà, auteur, essayiste Christophe Thill, éditeur Pascal J. Thomas, essayiste, critique Olivier Tomasini, auteur Emmanuel Tollé, chroniqueur Juan-Manuel Torres-Moreno, auteur Daniel Tron, traducteur Jean-Louis Trudel, auteur Selene Verri, journaliste Jérôme Vincent, éditeur, webmestre Herveline Vinchon, libraire Thierry Virga, auteur Roland C. Wagner, auteur, traducteur, essayiste, critique Philippe Ward, auteur, directeur de collection Christine Webster, compositrice Laurent Whale, auteur Martin Winckler, auteur Joëlle Wintrebert, auteur, scénariste, critique Nicolas B. Wulf, auteur Pascal Yung, illustrateur
  • Poupée aux yeux morts

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    Premier roman ambitieux de Roland C. Wagner, après Le Serpent d'angoisse et Un Ange s'est pendu, Poupée aux yeux morts, qui comprenait dans sa première édition trois volumes, conte les tribulations de Kerl, un voyageur de l'espace qui, à la suite d'une panne sur son vaisseau, a vieilli durant le trajet. Ce septuagénaire tente de retrouver Sue, la bien-aimée qu'il a délaissée cinquante ans plus tôt, laquelle n'a paradoxalement pas pris une ride depuis qu'elle a été conditionnée pour devenir une prostituée. FnAnt1649.jpgCette quête sentimentale se double vite d'une autre, à l'échelle cosmique. En effet, la rationalité est de plus en plus souvent prise en défaut : il semble qu'une autre logique venue du fond de l'espace, la Perturbation, progresse vers la Terre. Les premiers éléments de cette menace sont donnés à Kerl par l'intermédiaire d'un Fouinain, un extraterrestre dont le physique comique ne masque que mieux l'étendue des pouvoirs psychiques. C'est cependant à l'astronaute de rassembler en un tout cohérent les indices qu'il glane au cours de péripéties rocambolesques ; les Matraqueurs, qui hantent le métro et FnAnt1654.jpgs'expriment en langage minimaliste, les Salvoïdes, clones dont la fonction même de faiseurs d'horribles jeux de mots est un mauvais jeu de mots, les Transylvaniens qui dansent en effectuant de courts sauts dans le temps, les Néopurs, ex régime fort mais encore puissant, d'un puritanisme exacerbé, renversé par la Rationalité et sa rigidité scientifique, comme d'autres extraterrestres ou d'autres personnages attachants, constituent, parfois sans en avoir conscience, un élément du puzzle. Références musicales et littéraires, principalement de Science-Fiction, culturelles en ce qui concerne les images du vieux Paris, scientifiques par rapport à la Perturbation sont autant de détails qui portent l'intrigue à un point d'ébullition. FnAnt1659.jpgL'art littéraire de Roland C. Wagner est de manipuler conjointement le motif et la trame. Comme dans Les Futurs Mystères de Paris, que ce roman préfigure, chaque motif de son puzzle répète un élément de la trame globale. Comme toujours chez Wagner, l'action est rapide et échevelée, de multiples personnages se croisent, se perdent et se retrouvent, d'innombrables idées et postulats sont agités, concaténés pour finalement accoucher d'une théorie unifiée d'un univers imaginaire aussi foisonnant dans sa complexité que cohérent dans son ensemble. On sort d'une telle lecture un peu étourdi, mais ravi, ébloui par ce numéro d'équilibriste. Une réédition essentielle (1).
  • sur le fait relatif du decret et de l'universite

    Madame Valérie Pécresse, ministre de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, nous présente un décret, dont le but affiché est l'amélioration du niveau et du dynamisme de la recherche française, l'optimisation du fonctionnement de l'Université, sinon sa « compétitivité » internationale, et dont le processus consiste à faire de l'enseignement (ou, plus précisément, du nombre d'heures d'enseignement) une sanction (augmentation) ou une récompense (allègement) de la qualité relative (et non intrinsèque) des productions personnelles de chercheurs français (articles, communications, conférences, recueils, etc). Je me propose de vous démontrer le plus sérieusement du monde, tout en vous amusant, que la réforme proposée ne peut avoir pour effet que la disparition prématurée de tous les enseignants-chercheurs et l'arrêt corrélatif de toute forme de recherche scientifique en France, en moins d'une génération, laissant les étudiants (toutes disciplines confondues) orphelins, et les entreprises (si gourmandes en chercheurs, semble-t-il) fort dépourvues. Pour cela, et parce qu'il ne faut jamais hésiter, lorsqu'on est un universitaire, ou un politique manifestement, à parler de ce que l'on ne connait pas, je m'appuierai sur une interprétation fantaisiste de la théorie einsteinienne de la relativité. Vous voilà prévenus, mon propos sera délibérément iconoclaste et indiscutablement fallacieux. Albert Einstein, en formulant sa théorie de la relativité générale, a montré que la vitesse de la lumière est une constante absolue qui se chiffre exactement à 299 794 kilomètres par seconde. En conséquence, si la vitesse de la lumière est invariable, la distance qu'elle parcourt en un temps déterminé est toujours identique, qu'un observateur soit immobile ou qu'il soit lui-même en mouvement, et ce à quelque vitesse que ce soit. En conséquence, le temps et la distance doivent nécessairement être variables. Autrement dit, l'espace et le temps ne sont pas des constantes. En pratique, cela signifie que plus un observateur va vite, plus sa perception du temps ralentit et plus il se « contracte » dans le sens de son mouvement. Les aiguilles d'une horloge tournent plus lentement, les grains du sablier rechignent à tomber, etc. Bien entendu, cela n'est véritablement sensible qu'à partir du moment où l'observateur se déplace à un dixième de la vitesse de la lumière, soit à quelques 30.000 kilomètres par seconde. Mais, si l'effet est infime, voire imperceptible, en-deça de cette vitesse, il n'en est pas moins réel dès lors qu'on est en mouvement : le coeur ralentit, les secondes, les minutes et même les heures s'allongent, les mètres et les kilomètres se raccourcissent, les objets se rapprochent. Or, un enseignant-chercheur est quelqu'un qui, par la nature même de son travail, passe la plus grande partie de son temps à ne pas se déplacer : lorsqu'il cherche, il est assis dans une salle de bibliothèque, devant une liasse d'archives, ou dans un laboratoire devant un microscope. Il lit, prend des notes, réfléchit, mais bouge finalement très peu, sinon pour aller, de temps en temps, chercher une nouvelle cote dans des fichiers informatisés (dans le meilleur des cas), ou compiler quelques relevés interférométriques (et découvrir, ainsi, une exoplanète semblable à la Terre), quand il ne doit pas rapporter à un archiviste pointilleux des archives que personne d'autre ne consulte (je ne parlerai pas ici des besoins corporels élémentaires que même un universitaire se doit d'affronter). Et, lorsqu'il enseigne, il n'est guère plus mobile : assis à la chaire, face au micro, il ne se lève que rarement pour inscrire quelque orthographe exacte, ou formule complexe, au tableau [qui, jadis, a été] blanc, ou, pour relancer la minuterie de l'éclairage chiche de son amphi, en général vétuste. Certains universitaires, il est vrai, tournent autour de la chaire, micro HF à la main, mais, tels des poissons rouges dans leur bocal, ils finissent toujours par revenir à leur point de départ, à savoir leurs feuilles de cours, ou leur ordinateur portable, vérifiant la connexion filaire au système de vidéo-projection qui, une fois l'an, s'avère opérationnel. Vous en conviendrez donc, substantiellement, un enseignant-chercheur est un être sédentaire, sinon immobile. Et par conséquent, c'est un être qui vieillit plus vite que la grande majorité de la société civile française, même si, comme on l'a dit, l'effet reste généralement imperceptible. Oui, il faut le marteler haut et clair : l'espérance de vie des universitaires est la plus basse de tous les corps de métier, du strict point de vue physique einsteinienne. Les effets de la relativité sur l'enseignant-chercheur sont tous vérifiables : son coeur bat généralement plus vite que la moyenne de la population active (l'absence de pratique sportive régulière accentuant généralement ce problème) ; les heures de cours sont toujours trop courtes pour qu'il puisse expliquer tout ce qu'il aurait voulu à ses étudiants, qui, d'ailleurs, sont toujours beaucoup plus loin de la chaire qu'il ne le souhaiterait ; enfin, les jours passant trop vite, il est toujours stressé par le retard pris sur un article à rendre dans des délais qui s'avèrent, de fait, impossibles à tenir. Ainsi, si les processus organiques d'un système vivant en mouvement témoignent de la dilatation du temps, les talents d'un enseignant-chercheur, toutes ses compétences, son application, et jusqu'à son traitement, sont affectés d'un phénomène de contraction. Y compris lorsque l'universitaire tente de s'opposer à une réforme qui s'avère aller, à une vitesse démentielle, dans la direction exactement opposée à celle qu'il aurait fallu pour sauver l'Université, et précisément, la remettre en mouvement. Bien entendu, du point de vue du gouvernement qui se rue dans cette entreprise exaltante de la réforme d'institutions qu'il ne comprend pas, au contraire, tout semble aller... beaucoup trop lentement ! Et notamment les négociations : pour le ou la ministre, qui court toujours dans tous les sens, surtout lorsqu'il, ou elle, est aiguillonné par un chef de l'Etat hyperactif, les heures s'allongent, les débats sont interminables, et les arguments des enseignants-chercheurs semblent se précipiter sur lui, ou elle, de toute leur justesse arrogante. Résultat : quand, enfin, les réformateurs acceptent, un brin instant, d'interrompre leur agitation frénétique, de ralentir un peu leur marche exaltée vers la « rupture », par exemple pour nommer un médiateur après des semaines de négociations infructueuses, ils se rendent compte qu'à l'Université près de dix années ont passé. La nouvelle génération d'enseignants-chercheurs ne comprend pas le sens d'un réforme qui préconise, à ses yeux, des solutions archaïques (qu'en raison même de leur vitesse, les gouvernants perçoivent toujours, quant à eux, comme fondamentalement novatrices). Oui, entre universitaires croupissants et ministres vrombissants, le consensus paraît impossible. Bien entendu, le raisonnement que je viens de faire peut-être être inversé : si l'on s'intéresse à l'activité intellectuelle, plutôt qu'au déplacement physique, les rapports entre gouvernants et universitaires apparaissent étonnamment différents : des ministres aux secrétaires d'Etat, en passant par tous les rédacteurs de décrets d'application de telle « Loi sur la Réussite de l'Uniformisation », quel que soit le parti auquel ils appartiennent, ou la politique qu'ils affirment servir, tous sont tenus par une cohérence d'action, par le respect d'un programme (en général intenable, à l'instar des délais des articles universitaires, mais le problème n'est pas là). Ils ne doivent pas en dévier, et d'une certaine manière, s'il leur arrive de tergiverser, ce n'est que de manière très ponctuelle. Ils s'en tiennent à ce qui a été annoncé par le chef de l'Etat (ou du moins, affectent consciencieusement de leur faire). Ils sont donc, du point de vue du mouvement intellectuel... immobiles, à l'arrêt, ou pour le dire de façon moins provocatrice, aux ordres ! Les enseignants-chercheurs, en revanche, en vertu de la schizophrénie propre à leur profession bipolaire, sont en perpétuel mouvement, voire oscillation, entre leurs recherches en cours et leurs enseignements. Refusant toutes les vérités pré-établies, rejetant toute théorie ou tout paradigme dont ils auraient accepté la validité à perpétuelle demeure, les universitaires sont toujours en train de questionner leur rapport aux sources, aux manipulations scientifiques, aux données rassemblées, remettant en cause leurs conclusions, leurs lectures, et, pour tout dire, leur propre cheminement intellectuel. Ils s'auto-critiquent, s'auto-évaluent, commentent des erreurs en permanence, en tirent des enseignements au quotidien, et tentent de nouvelles approches. Ils reculent, avancent, accélèrent, ralentissent, etc. Bref, ils sont toujours... en mouvement ! Leurs recherches, et celles de leurs pairs, qu'ils se donnent à lire régulièrement, ne serait-ce que par signe de bonne confraternité, influencent leur manière d'enseigner. Et même si certains de ses ajustements sont infimes, ils n'en sont pas moins réels. En retour, lorsqu'ils enseignent, l'œuvre de synthèse, de simplification (et non de simplisme, comme c'est généralement le cas de la communication politique et médiatique), de mise en relief des grandes structures d'une pensée ou d'une matière (notamment pour les étudiants de première année, qui sont, de loin, les plus demandeurs de clarté et d'ambition du discours) leur offre une occasion extraordinaire de mesurer la justesse de l'orientation prise par leurs recherches personnelles. Souvent, pour ne pas dire toujours, c'est en enseignant que les chercheurs trouvent. Qu'ils ont, au détour d'une phrase, qui doit être claire parce qu'elle s'adresse à des apprentis, ce déclic qui fait tout le sel de leur profession intellectuelle, et qui en une seconde, les remplit d'énergie comme une journée de vacances au soleil. Il en va de l'enseignement pour les chercheurs, comme de l'entraînement pour les sportifs : s'il est correctement compris et pratiqué, s'il repose sur une envie, un désir, voire une passion, il mène à la performance, à la victoire, et pour tout dire, au dépassement de soi. C'est pourquoi la vitesse des enseignants-chercheurs est souvent extrêmement élevée car, sauf lorsqu'ils renoncent à être pleinement ce qu'ils peuvent être, ils sont toujours en train de réfléchir, d'anticiper, de soupeser, de prévoir telle possibilité, telle expérience, telle théorie. Ils pensent à leurs cours lorsqu'ils rédigent leurs articles, et pensent à leurs articles lorsqu'ils professent. Du coup, leur esprit subit de plein fouet l'impact de la relativité einsteinienne : tout ce qui est externe à leur réflexion semble être de l'agitation frénétique, tandis que leur pensée en mouvement est calme, constructive, suivant un raisonnement affranchi de la tyrannie des minutes et des heures, puisque celles-ci se rallongent, donnant tout l'espace nécessaire à leur réflexion en cours. Vous en avez sans doute fait l'expérience, (ou les frais) : il est inutile de s'adresser à un enseignant-chercheur qui rédige un article ou prépare un cours, il ne vous répondra pas. Et pour cause : de son point de vue, vous n'êtes qu'une ombre agitée, une tempête indistincte, un stroboscope irritant, un transitor crachotant un babil dissonnant et incompréhensible. A bord de son vaisseau intérieur qui le propulse à la vitesse de la pensée vers l'édification d'un nouveau discours, la découverte d'une nouvelle molécule, fussent-ils inutiles (donc fondamentaux) la Terre elle-même n'est plus qu'un pixel insignifiant se perdant dans le bruit de fond cosmologique. Mais, bien sûr, cela a un prix très élevé : quand l'enseignant-chercheur revient au réel, après voyagé à toute vitesse dans le foisonnement des possibilités, il risque fort d'être désorienté. En effet, si de son point de vue il ne s'est écoulé que deux ou trois heures, le monde extérieur semble avoir radicalement changé : l'Université est en danger, elle doit répondre à des exigences impérieuses de rentabilité, elle doit « produire » des actifs, former des professionnels, des spécialistes prêts à l'emploi ; elle doit réduire ses dépenses de façon drastique, elle doit abandonner ses habitudes de fonctionnement. Surtout, elle doit accepter, au nom d'une prétendue équité, une évaluation venue de l'extérieur et tissée d'arbitraire. Alors, l'enseignant-chercheur doit quitter sa table de travail, mettre en veille son ordinateur, suspendre son raisonnement et ses cours et... se justifier ! Expliquer que, pour lui, trois heures de cours, c'est trois jours de travail ; que, pour lui, 30.000 signes d'article, c'est trois mois de travail ; que, pour lui, 300 pages de thèse, c'est trois ans de travail. Et, bien sûr, il n'y a guère que ses pairs, scientifiques « purs » et « mous », qui acceptent de le croire. Les politiques eux, se moquent, raillent son improductivité, son attachement à cette lenteur qui est, à leurs yeux, une scorie, écho de traditions dépassées. Et parce qu'ils sont au pouvoir, les politiques finissent toujours par « avoir raison » sans jamais avoir raisonné. Ils agissent et passent en trombe largement à côté de l'Université, et atrocement contractés. Et les enseignants-chercheurs à la chaire ou à leurs recherches, se demandent d'où peut bien venir ce courant d'air (ou d'ère) qui éparpille leurs notes et leurs pensées, et les oblige à retarder la publication de leurs découvertes. Pour conclure, il faut rappeler une chose essentielle : plus un esprit va vite, moins il perçoit les changements autour de lui, tel un observateur qui se déplaçant à la vitesse de la lumière percevrait comme immobile un objet qui, pourtant, serait en train de tomber inexorablement vers le sol. Par conséquent, la première leçon de la relativité (aussi hasardeuse et délibérément fantaisiste puisse en être l'interprétation qui en a été faite ici) est la lucidité : les politiques considèreront toujours que leurs réformes sont insuffisantes, voire sans effet, alors même qu'elles transforment inexorablement la matière visée, ici la façon dont les universitaires travaillent ; et, en retour, tous les enseignants-chercheurs croiront toujours que la mise en suspens d'une réforme maladroite équivaut à son gel, voire à son retrait, alors, qu'à la vérité, loin de ralentir, elle continue de se précipiter, bien en-deçà du seuil de leur perceptions, vers son plein accomplissement, telle un astéroïde massif s'écrasant sur un monde auquel il va offrir une belle et revigorante période glaciaire. La seconde leçon de la relativité telle que je l'ai librement interprétée, et qui sera aussi la dernière, est, bien entendu, l'humilité : quelle que puisse être votre position, du côté du gouvernement ou contre celui-ci, pour l'Université ou à l'équerre de ses revendications, vous ne devez jamais oublier que cette position est toujours... relative. Selon le point de vue adopté par ceux qui vous observent, vous passerez pour un indécrottable conservateur ou pour un réformateur insensé. Pour tout dire, la vérité ne sera toujours que d'un seul côté : celui de la lumière.